Compte-rendu / Interview – Une Soirée Cinémockygraphique


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Jean-Pierre Mocky   

     

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Mocky vient au Havre ! Ou plutôt il y revient : les amateurs avaient déjà approché l’homme au Sirius il y a quelques années lors d’un double programme résolument fantastique qui avait vu La Cité de l’ indicible peur (1964) judicieusement accolée à Litan (aka La Cité des spectres verts, 1981). Deux époques différentes, deux approches du genre radicalement opposées.

Ce vendredi 9 décembre 2005 à l’ Eden, le menu n’est pas moins copieux : rencontre publique suivie de la projection de Un couple (1960) et d’un de ses petits derniers, Grabuge ! (2005). Soit du roboratif qui ne se refuse pas. L’équipe étant liée par diverses obligations variablement joyeuses ou comateuses, son chroniqueur Bis part seul à la pêche à l’ interview, épaulé tout de même par François à la technique.

Nous voici donc dans une salle joliment peuplée à une heure où l’honnête travailleur songe violemment à fermer boutique. Le débat, animé par Marie-Claude Cherqui et Philippe Normand de l’association Queneau aime Le Havre aime Queneau, se focalisera sur les relations entre les deux lurons jusqu’à ce qu’à l’absence totale de surprise générale, un gaillard qui s’était contenté de ponctuer chaque saillie de Mocky de quelques soupirs, craquements de genoux et grincements de siège ne puisse plus contenir son exaspération : «Monsieur Mocky, je ne vous aime pas !». L’affrontement verbal était à ce point téléphoné qu’à ce jour, le doute nous taraude encore : véritable auteur piqué au vif par l’outrecuidance d’un cinéaste fort en gueule faisant table rase des plumes contemporaines, épigone qui ne pouvait faire moins que de se frotter à un cador dans le registre de la provocation ou acteur de connivence avec les organisateurs ?

Passée la rencontre, on s’impatiente, on trépigne, on désespère, on tourne les talons quand Sylvie Fortin nous rattrape : oui, il accepte ! Et c’est au bar du Volcan que ça se passe, autour d’un kir et en présence de Patricia Barzyk - Madame Mocky - à l’affiche de Grabuge ! et de six autres films de l’infatigable. Etant donné le profil (le pedigree, on dit maintenant) de l’intervieweur, on ne s’étonnera guère des sujets abordés. En vrac : le fantastique, un projet qui tache avec André Ruellan (co-scénariste de Grabuge !), un obscur métrage hardcore Les Couilles en or (tourné en réaction à la libéralisation suffocante du porno sous Giscard, rassurez-vous ça n’a pas duré), des inédits en pagaille, la censure (un clip pour Jean-Jacques Goldman détruit par ses commanditaires ?!?), un grand œuvre aux allures de fresque hélas voué à une éternelle gestation … Sylvie venant enrichir la discussion, il est aussi beaucoup question d’exploitation (de salles, hein !), d’économie et de la nouvelle méthode adoptée par notre cinéaste-forain pour montrer ses films. Mocky le forain. Mocky le bateleur. Mocky hit and run !

Un entretien consistant - au point de se poursuivre après l’arrêt officiel de l’échange décrété par un chroniqueur encore peu au fait de la durée d’un MD, mais l’intégralité est en ligne ! – qui se sera étendu sur toute la durée de Un couple. Ce n‘est que partie remise, on pourra se refaire avec l’intégrale en DVD.

La seconde projection fut précédée d’une désaffection pour ne pas dire une désertion massive des spectateurs. Quatre hypothèses à ce triste état de fait : primo, nous sommes au Havre, ville où la fréquentation des salles est singulièrement basse, alors un vendredi à 22h00, pensez bien... (on prêtera à ce sujet une oreille attentive à l’interview de Christian Zarifian dans laquelle il suggère une troublante explication à ce phénomène) ; secundo, la majeure partie de l’assistance ne s’était déplacée que dans la perspective d’un débat vitupérant avec Mocky la Bête ; tertio, mais là on n’ose y songer, Grabuge ! ne bénéficiant pas de la caution Queneau, la masse des cultureux a regagné ses pénates toute minaudante du devoir civique accompli ; quarto, et on aurait tort de négliger cette piste, le public, ce coquin, était parfaitement au fait de l’évolution de la carrière de Mocky et n’a pu se résoudre à faire le tri dans un film qui ne répond à aucun des objectifs revendiqués.

Présenté par Mocky comme un polar dénonçant « une forme d’esclavage moderne » (le trafic de fausses cartes de séjour), Grabuge ! oublie tout simplement de traiter son sujet passés les premiers plans. Y voir un pamphlet se colletant sans tabou avec des drames humains soigneusement passés sous silence par des média à la botte tiendrait au mieux du canular d’indécrottables potaches, au pire d’un acharnement à fouir de la pellicule à la recherche de rachitiques racines politiques quitte à en oublier les authentiques richesses. Précisons à toute fin utile que les dites richesses ne sont pas non plus à chercher du coté de l’ « action » (d’une mollesse qui laisse pantois) et encore moins du suspense (fantomatique mais y-avait-il seulement une volonté ?). Qu’enfin, les scènes entre notables s’impriment durablement dans la mémoire pour leur grisaille et leur direction d’acteurs dans la grande lignée décadente terne d’ Eurociné. Pourtant le film trouve un rythme unique dans les errances chloroformées et chaleureuses de son duo largué : Berling en coureur de molles amours déçues et Serrault, certes vieillissant, mais décalé à souhait en commissaire à moumoute hérissée, boucle d’oreille et bottes de cheval fomentant son propre cocufiage avec un tendre empressement. Les autres aussi : la compagne kabyle bienveillante et dupe de rien, la figuration débordante de trognes et de gueules (mais qui ne sauraient ressortir au pittoresque puisque leur humanité est la norme ici) et surtout l’ improbable et classieuse apparition de Micheline Presle amèrement bercée par la rengaine Où sont tous mes amants ? De toute façon, le film ne peut être que bon «puisque de belles femmes en ont dit du bien. Elise Lucet en a dit du bien» dixit l’auteur !

Attendez voir : un film dont la nonchalance se prête aux attaques les plus basses, des séquences hilarantes ou calamiteuses selon l’humeur, mais au bout du compte une oeuvre étrangement attachante et d’une singularité irréductible ? On aurait eu tort de jouer l’esquive : c’est là le genre de plaisirs hors normes dont on fait notre miel, bien calé dans le fauteuil vétéran d’une salle de quartier. Comme le Brady, par exemple.



(Remerciements à Sylvie Fortin pour sa participation et à Janick Balay pour les documents visuels)


Interview enregistrée au Volcan le 9 décembre 2005





Portrait de Jean-Pierre Mocky

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